Le compromis

Il y a quelques jours j’ai accompagné ma petite Maman dans sa ville natale, pour signer le compromis de vente de la maison de son enfance, celle où vivait mon Grand-Père.

Petite j’ai passé beaucoup de vacances dans cette maison. Suffisamment pour connaître les noms des rues du quartier. Rue Chaude, du Puits Gilles, du Housse Gallant, du Patois, la place Saint Croix, l’Echevinage sont autant de noms qui raisonnent. Qui font partie de mes souvenirs d’enfance. Des rues pleines d’anecdotes familiales qui font qu’il y en a toujours une qui vient à l’esprit lorsqu’on les traverse. Et j’y vois presque les fantômes des membres de ma famille en fonction des photos d’époque que j’ai vu d’eux.

Quand je pense à cette maison elle est toujours meublée comme « à l’époque ». Rien n’a bougé.  La boîte aux lettres que mon Grand-Père avait dû ouvrir à l’ouvre boîte parce que mon frangin avait mis la clef dedans. La tapisserie à grands losanges dans les tons gris bleu. Le carrelage aux motifs géométriques qui formaient un chemin labyrinthique. Le grand buffet art déco. La cuisine en formica vert pâle. La chambre jaune et la salle de bains qui sentais bon le savon Palmolive. Le grenier où j’adorais me balader à la recherche de trésors. L’établi et son étau avec lequel j’adorais plier des morceaux de zinc (Papy était couvreur). La marquise sous laquelle je m’étais installée une fois pour brûler des papiers dans une casserole. La seule fois de ma vie où il m’a disputée.

J’avais dix-neuf ans quand il est parti. Un âge où on s’estime trop grand pour aller passer une semaine chez son Grand-Père au fin fond de la Vienne. Un âge où l’on sait, mais où on n’a pas vraiment conscience, que ceux que l’on aime sont mortels (si l’on a comme moi la chance d’avoir été jusque là épargnée par le deuil).

Près de vingt ans plus tard il me manque toujours, terriblement. Je pense à lui, souvent. Et à chaque grande étape, notamment concernant mes poupées, je pense à combien j’aurais aimé qu’il les connaissent. Comme je suis sûre qu’il les aurait adorées.

Il y a tellement de choses que j’aurais voulu qu’il me raconte. Lui qui devait devenir pharmacien  et que la guerre et un pays à reconstruire ont finalement fait couvreur. Qui est revenu si amaigri de son séjour en camp de travail en Allemagne que sa propre mère ne l’a pas reconnu. Il parlait très peu de cette période. C’est sur son lit d’hôpital qu’il m’a raconté qu’il avait fait office d’infirmier pour ses camarades d’infortune pendant la guerre. Mon Grand-Père ce héros. J’aurais tellement voulu en savoir plus pour pouvoir en parler à mes poupées. Mais ça c’est avec le recul car à l’époque je ne pensais pas à poser de question.

Je sais que je n’irai jamais vivre à Loudun. Que gérer une maison à distance c’est compliqué. Que la raison était de la vendre. Et pourtant… En regardant ma mère signer les papiers de ce compromis j’ai senti mes yeux s’emplir de larmes. C’est un nouveau chapitre de mon enfance qui se ferme. Une sorte de petit deuil.

Il me reste mes souvenirs et la fierté d’avoir des racines dans cette petite ville qui a vu naître Théophraste Renaudot créateur de la première Gazette, théâtre d’affaires retentissantes comme celle d’Urbain Grandier et des ensorcelées ou plus récemment celle de Marie Besnard et dont les clochers alentour ont un jour été refaits par un artisan de talent qui m’appelait sa Schtroumpfette.

Tu me manques Papy.

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2 Comments on “Le compromis”

  1. Moi j’ai la même maison et les mêmes pincement au coeur mais la mienne était à St Raphaël… mon arrière grand-père, capitaine de navire marchande venait dans cette maison familiale bourgeoise depuis Marseille y passer long week-end de permission et grandes vacances. Je me souviens de l’odeur de lavande, du chêne liège dans lequel on montait, du long couloir sombre du rdc, des fauteuils recouverts de tissu provençal, des trop longues siestes de l’après-midi : moment sacré du grand-père durant lequel la maisonnée devait être absolument silencieuse, du chant des cigales qu’on captait à travers les persiennes, les parties de pétanque animées des adultes dans les gravillons de la cour… et j’ai appris bien plus tard que cette maison familiale avait hébergé pendant la guerre un poste de commandement allemand, qui avait tagué dans la cuisine de service du rdc des inscriptions que personne n’avait jamais pris le soin d’effacer, mais que cette cuisine n’avait alors plus jamais servie autrement que comme débaras… je me souviens du goût du sel sur mes lèvres quand nous remontions de la plage à 400 mètre de la maison en passant par dessus la voie de chemin de fer. De la cloche qui servait de sonnette. De la porte d’entrée lourde avec cette poignée de porte si travaillée… et du gros pincement au coeur quand mes parents nous ont appris la vente de cette maison après le décès de mes arrières grands parents. J’y suis retournée 20 ans plus tard. Les souvenirs, les odeurs, les émotions étaient intactes même si le lieu a été en partie transformé. Et je crois que mon amour des oliviers, de la garigue, du chant des cigales et des livres de Pagnol me permet de garder ce lien avec ce pays qui a abrité une partie de mes plus jolies vacances d’enfance …

    1. Superbe commentaire, merci <3 Tu m’as transportée dans le sud.
      On a de la chance d’avoir de si jolis souvenir mais que c’est difficile quand il faut laisser partir un morceau de notre enfance…

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